27/07/08

Poetas


"Monologue pour Cassandre"

C'est moi, Cassandre.
Et voici ma cité recouverte de braises.
Et voici mon bâton, mes rubans de prophète.
Et voici ma tête pleine d'incertitudes.

C'est vrai, je triomphe.
Le feu de ma raison lèche la voûte céleste.
Seuls les prophètes que personne ne croit
jouissent de tels spectacles;
seuls ceux qui s'y sont assez mal pris
pour que tout s'accomplisse aussi rapidement
comme s'ils n'avaient pas existé.

Je me souviens maintenant, très distinctement
de ceux qui, devant moi, arrêtaient de parler.
Rires qui s'étouffaient.
Mains qui se dénouaient.
Enfants qui couraient vers leurs mères.
Je n'ai même pas connu leurs noms si périssables.
Et cette chanson sur la petite feuille verte
personne ne l'achevait quand j'étais là.

Je les aimais.
Mais les aimais de haut.
Bien plus haut que la vie.
De l'avenir. Où il fait toujours vide,
d'où rien n'est plus facile qu'apercevoir la mort.
Je regrette maintenant que ma voix fût si dure.
Regardez-vous vous-mêmes depuis les étoiles, disais-je.
Regardez-vous vous mêmes depuis les étoiles.
Ils m'entendaient, et baissaient les yeux.

Dans la vie ils vivaient.
Portés par le grand vent.
Déterminés,
dès leur naissance, dans ces corps migratoires.
Mais il y avait en eux comme un espoir humide,
une flamme nourrie de son propre grésillement.
Ils savaient mieux que moi ce que c'est qu'un instant,
un seul au moins, unique, n'importe lequel - Avant -

J'avais raison.
Seulement voilá, il n'en résulte rien.
Et voici ma chemise barbouillée par le feu.
Et voici ma quincaillerie de prophétesse.
Et voici mon visage tordu.
Visage qui n'a pas su qu'il pouvait être beau.

Wislawa Szymborska, do livro "Cent blagues"
(Sto pociech/1967), In "De la mort sans exagérer",
Poésie Fayard, 1996, p.37/8. (Tradução do polaco
para o francês por Piotr Kaminski)