15/04/12

" Bien sûr, je sais qu'il ne faut pas forcer l'écriture... "

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( Diálogo entre Marcel Proust e o adolescente Vincent )

 Écrire exige un engagement exclusif. On ne peut rien faire d'autre que cela: écrire. On ne doit être distrait par rien. On doit se consacrer entièrement au livre, lui sacrifier tout le reste. C'est un sacerdoce, une entrée en religion. Savez-vous que même lorsque je n'écris pas, j'écris tout de même? Le temps de la contemplation, celui de l'observation, celui de la mondanité, celui de l'oisiveté sont des temps qui servent l'écriture. (...) La vie dans son entièreté est dédiée à l'écriture. Je ne vis que pour l'écriture. C'est impossible de faire autrement. Et cette nécessité devient encore plus aigue quand on sent, comme moi, le terme de sa vie se rapprocher à grands pas. Il me faut finir ces livres auxquels je me consacre. Comprenez qu'il n'y a rien de plus important que de finir ces livres. J'espère qu'il me sera laissé suffisamment de temps. J'écris dans l'urgence, dans la fébrilité, dans la terreur (...)
 Écrire est le sens que je donne à mon existence. Mon existence disparaît derrière l'écriture. Ou encore je pourrais vous dire: si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort.

 Il y a vos mots qui réssonnent dans l'air vicié de cette chambre d'asthmatique, dans cette atmosphère confinée, étouffante, écrasée d'étroitesse: si je n'écrivais pas, je crois bien que je serais mort. Et, alors, je vous crois. Dans cet espace improbable, dans cette furie de l'écriture, vous cherchez à survivre, à sauver votre peau. Je trouve cela tout à la fois misérable et flamboyant, pathétique et magnifique. Je ressens pour vous une tendre pitié et une intense admiration.

  Vous reprenez: écrire est un travail. Le talent, sans doute, a un peu à voir dans toute cette affaire mais, avant tout, il faut travailler, travailler d'arrache-pied, se donner une discipline de l'effort, des règles. Ainsi moi, vous l'avez compris, quand la nuit vient, je me mets à mon bureau et je fais mes pages d'écriture. J'écris jusqu'à l'épuisement, jusqu'à la victoire sur l'insomnie, ou jusqu'à la défaillance de la main (...).
  Bien sûr, je sais qu'il ne faut pas forcer l'écriture, ne pas se forcer à écrire quand on ne se trouve pas dans des dispositions à le faire. Il faut attendre que cela vienne, que cela soit là. De même, il faudrait ne pas prolonger le moment de l'écriture. Quand on sent que c'est fini, alors c'est fini. Il ne faudrait pas s'entêter. Et, pourtant, je m'entête. Je violente l'écriture. Je la fais venir. Je la pousse à se manifester. Et je repousse sans cesse l'instant où je devrais reposer la plume. Je vous l'ai dit: seul l'épuisement peut stopper mon élan.
(..) Je bâtis une église. C'est cela que je fais. J'élève un monument. (...) Et, dans cette église, on raconte l'histoire d'hommes et de femmes, on communie dans une même ferveur, on s'approche d'une forme d'universalité.

  Besson, Philippe. En l'absence des hommes. Paris: Éditions Julliard, 2001, pp 107 - 109.
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