01/02/12

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Ils ont été por moi et pour mes petits camarades de puissantes machines affectives et imaginatives, non pas arbres seulement, troncs et branches, mais aussi chevaux pour sauter l'obstacle, bateaux pour franchir le flot, avions à leur plus haut pour contempler, si l'on pouvait grimper jusque-là, ce qui se passait dans la rue traversée de gens affairés, d'autos colorées, de fillettes brunes comme du chocolat ou bien, à la façon des brioches du goûter, croustillantes et sucrées, dorées, adorées. D'être enracinés pour l'éternité dans leur sol autorisait ces arbres à s'en aller le plus loin possible, et nous avec eux. Cela, je m'en souviens, se passait il y a longtemps à Beyrouth, - à Beyrouth où j'ai été enfant. Et c'est cet enfant-là, inguérissable, qui pleure aujourd'hui, en France, dans un petit village des Yvelines, devant d'autres arbres qu'il aime et qui l'aiment, les derniers de sa vie.
Mais laissons là ces choses qui ne tiennent plus à rien qu'à simplement ce fil rouge de la mémoire, ce lacet qui étrangle. Respirons. Car s'il est musique et violon - et piano aussi, et clavecin, et le reste -, l'arbre est pour l'essentiel respiration. (...) Tant d'oiseaux dans les arbres, l'été ou l'automne, et qui chantent! (...) Pour  chanter, il convient d'abord d'être enchanté: ce qu'ils sont. Et l'arbre tout content, et tout ému, se couvre, se recouvre de plus de feuilles encore, et se met, politesse contre politesse, au langage des fleurs. Certains appellent ça le printemps: en fait, c'est un prêté pour un rendu. Respirons.

  Salah Stétié in " Dans le miroir des arbres ", Fata Morgana, s/c., 2011, pp 23 - 24.
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