19/02/10

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"souvenir de ma mère et de la lune"


quand la lune se levait au-dessus du mont Tchabrat
ma mère disait:
ta soeur s'est mise à la fenêtre

je prenais mon écharpe une cruche d'eau
et m'en allais pieds nus par la verte colline
sécher les larmes de ses yeux
essuyer ses joues pâles

quand la lune dévêtue
disparaissait dans les eaux de l'Erénik
je me laissais glisser en bas du mont Tchabrat
gardant en main sa jupe déchirée

ma mère alors se renfermait en elle-même

puis j'empoignais le marteau de mon père
brisais l'insoutenable silence
et tout le quartier dressait ses oreilles de choux
et tout le quartier implorait Dieu

ma mère souriait alors:

quand tes pas soulèvent la poussière
je te sais fruit de mes entrailles
je te sais vivant

il advint que ma mère fut changée en oiseau
et le ciel noir s'abattit sur notre toit
j'entrepris un jour de rassembler ses mots épars
puis je m'en fus de par le monde seul coupé de tout

la lune dit-on ne paraît plus au-dessus du mont Tchabrat
ni ne descend le cours de l'Erénik
peut-être éclaire-t-elle le chemin de ma mère

Ali Podrimja in "Défaut de verbe", Cheyne Éditeur, Le Chambon-sur-Lignon,
2000, pp 45 - 47 (Traduzido do albanês para o francês por Alexandre Zotos).
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