07/01/11

" Son amie n'arrêtait pas de tousser, elle était continuellement malade, de plus elle attendait un bébé."


J'étais rentré à Rome en laissant à Paris le secret de ma maladie. J'y fis cependant entorse pour Matou à force d'être tanné par lui sur la cause de mon assombrissement. Il n'y avait pas un jour où il ne revenait à la charge: "Mais enfin qu'est-ce qu'il t'arrive Hervelino? Tu es devenu tout bizarre... Tu as changé... Quelque chose te préocupe? Je t'aime beaucoup, il est normal que je me soucie de toi..." Je fis d'abord semblant de ne pas saisir le sens de ses injonctions, puis je l'envoyai bouler, mais il ne lâchait pas prise. Enfin, alors que nous étions tous deux seuls, je laissai tomber la vérité, je lui dis texto que j'avais des inquiétudes au sujet de ma santé, et, sans exiger aucune précision supplémentaire, il ne me posa plus aucune question. Mais l'aveu comprenait quelque chose d'atroce: dire qu'on était malade ne faisait qu'accréditer la maladie, elle devenait réelle tout à coup, sans appel, et semblait tirer sa puissance et ses forces destructrices du crédit qu'on lui accordait. De plus, c'était un premier pas dans la séparation qui devait conduire au deuil. Le soir même Matou sonnait à ma porte pour m'offrir l'objet que je cherchais depuis des semaines, un luminaire stellaire, lui avait dégoté en un tournemain comme un magicien, et c'était sa façon à lui de me dire que la lampe en forme d'étoile, malgré mon inquiétude, m'éclairerait encore longtemps. Et nous allâmes danser ensemble, jusqu'à l'extrême limite de nos forces, pour nous démontrer que nous avions encore du souffle, et que nous étions bien en vie. Mais j'avais aussi de inquiétudes au sujet de Matou, car, avant de devenir mon grand ami, il avait été mon amant, cinq ans plus tôt, à une période qui devait coincider avec le temps rétroactif de la contamination, le suivre ou le précéder de peu. Son amie n'arrêtait pas de tousser, elle était continuellement malade, de plus elle attendait un bébé. En prenant des gants, je déclarai à Matou qu'à cause de cette situation, la gestation de l'enfant qui remontait à trois mois, je lui conseillais de faire le test, sans en parler toutefois à son amie pour ne pas l'inquiéter. Je plongeai Matou dans état d'angoisse abominable, qu'il fut contraint de murer au plus profond de lui, retourné dans son pays, et s'interrogeant sans relâche au cours des insomnies, en fixant les feuilles du frêne qui bruissait dans l'ombre par la fenêtre, sur le bien-fondé de cette démarche, torturé par son hésitation, décidant de faire le test, puis y renonçant. Le matin de son départ, à bout de tout, il alla tendre son bras nu à l'aiguille comme, empêtré dans les ronces d'une promenade inextricable, on se décide à sauter d'un mur trop haut, et emporta en échange son numéro de loterie, qu'il remit à la personne en qui il avait une entière confiance. Matou était revenu à Rome, nous marchions ensemble dans le jardin, son amie plus loin avec une autre connaissance, il portait ce soir-là sa gabardine bleue et son chapeau, cela faisait des jours, depuis son retour, qu'il était morfondu, terne et agressif, il me chuchota: "Ça y est, j'ai fait le test..." Je lui demandait, avec avidité: "Et alors?" C'était un moment difficile, où l'on pauvait penser que l'autre avait des doutes sur la véritable transparence, en cet instant, de votre coeur. Matou venait de recevoir le coup de fil de cet ami qui s'était fait passer pour lui avec son nméro. "Et alors c'est bon..." me dit Matou sans intonation. Je souriais, j'étais, n'est-ca pas louche de le préciser? profondément et sincèrement soulagé.
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Hervé Guibert in " À l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie", Éditions Gallimard, Paris,
1990, pp 164 - 166.
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