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09/10/13

 
 
          " Je vivais. Mon regard, comme un peuple... "
 
 
Je vivais. Mon regard, comme un peuple d'abeilles,
Amenait à mon coeur le miel de l'univers.
Anxieuse, la nuit, quand toute âme sommeille,
    Je dormais, l'esprit entr'ouvert!
 
 
La joie et le tourment, l'effort et l'agonie,
De leur même tumulte étourdissaient mes jours.
J'abordais sans vertige aux choses infinies,
    Franchissant la mort par l'amour!
 
 
Vivante, et toujours plus vivante au sein des larmes,
Faisant de tous mes maux un exaltant emploi,
J'étais comme un guerrier transpercé par des armes,
    Qui s'enivre du sang qu'il voit!
 
 
La justice, la paix, les moissons, les batailles,
Toute l'activité fougueuse des humains,
Contractait avec moi d'augustes fiançailles,
    Et mettait son feu dans ma main.
 
 
Comme le prêtre en proie à de sublimes transes,
J'apercevais le monde à travers des flambeaux;
Je possédais l'ardente et féconde ignorance,
    Parfois, je parlais des tombeaux.
 
 
Je parlais des tombeaux, et ma voix abusée
Chantait le sol fécond, l'arbuste renaissant,
La nature immortelle, et sa force puisée
    Au fond des gouffres languissants!
 
 
J'ignorais, je niais les robustes attaques
Que livrent aux humains le destin et le temps;
Et quand le ciel du soir a la douceur opaque
    Et triste des étangs,
 
 
Je cherchais à poursuivre à travers les espaces
Ces routes de l'esprit que prennent les regards,
Et, dans cet infini, mon âme, jamais lasse,
    Traçait son sillon comme un char.
 
 
Tout m'était turbulence ou tristesse attentive;
La mort faisait partie heureuse des vivants,
Dans ces sphères du rêve où mon âme inventive
    S'enivrait d'azur et de vent!
 
 
Ainsi, sans rien connaître, ainsi, sans rien comprendre,
Maintenant l'univers comme sur un brasier,
Je contemplais la flamme et j'ignorais les cendres,
    Ô nature! que vous faisiez.
 
 
Je vivais, je disais les choses éphémères;
Les siècles renaissaient dans mon verbe assuré,
Et, vaillante, en dépit d'un coeur désespéré,
Je marchais, en dansant, au bord des aux amères.
 
 
À présent, sans détour, s'est présentée à moi
La vérité certaine, achevée, immobile;
J'ai vu tes yeux fermés et tes lèvres stériles.
Ce jour est arrivé, je n'ai rien dit, je vois.
 
 
Je m'emplis d'une vaste et rude connaissance,
Que j'acquiers d'heure en heure, ainsi qu'un noir trésor
Qui me dispense une âpre et totale science:
    Je sais que tu es mort...
 
 
   Noailles, Anna de. L' Offrande. Paris: Orphée/ La Différence, 2012, pp 99 - 101.
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08/10/13



                                             " Prière "


   Si un jour, aux derniers instants de ma vie, je dois expier les péchés de la magnifique jeunesse, son outrecuidance radieuse, ses rires ouverts, son ingénue malveillance, sa démarche de despote, ses décisions sans scrupule, ses obstinations et ses dédains, - et que ces puissants méfaits de l'irréflexion viennent plaider contre moi, veuillez, ô Destin, opposer à ces images d'un crime ravissant toutes les détresses de votre créature! Évoquez sa patience suffocante, sa constatation du malheur lente et sûre comme l'envahissement d'un insidieux venin, les tempêtes de l'esprit et du corps, comprimées par de faibles mains appuyées sur un coeur bondissant. Considérez dans son martyre spirituel cet être qui gît les yeux clos, disloqué comme la victime d'un accident brutal qui ne nécessite plus ni attention ni secours. Dénombrez les coups de couteau de la hideuse déception dans l'imagination humaine acharnée au plaisir, qui, comme vous, est divin, robuste et créateur. Auscultez ce désert songeur où alternent le râle et le silence. Apitoyez-vous sur la douleur qui appelle non seulement la mort, mais une mort disgraciée, et recevez, ô Monde, ce poids de rêve piétiné dans le paradis sans conscience de votre vaine éternité!
 
 
    Noailles, Anna de. L'Offrande. Paris: Orphée/ La Différence, 2012, p 90.
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07/10/13


                   " Le conseil "


Myro, sois déférente envers celui qui t'aime,
Ne crois pas ton doux corps par les dieux achevé,
Sans l'amant ébloui que ton oeil fait rêver
Ton être vaniteux ne serait pas soi-même.

Loin du flot qui lui voue un murmurant amour
La rive d'or n'est plus qu'un sable désertique;
Honore le désir fidèle et nostalgique
Qui fait à ta beauté un infini contour,

Lorsque tes pieds sont joints et tes mains refermées
À l'heure où le sommeil vient encercler ton lit,
Regarde, avant d'entrer dans l'éphémère oubli,
La morte que tu es quand tu n'es pas aimée...


  Noailles, Anna de. L'Offrande. Paris: Orphée/ La Différence, 2012, p 62.
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