16/01/10

" Après un silence..."

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Après un silence, William et Lavinia se regardèrent, se livrant visiblement à de rapides calculs. Edith qui n'avait pas une brillant réputation de femme d'affaires se montrait toutefois très perspicace. Elle lisait directement dans les pensées des gens et donnait régulièrement son avis avec une franchise plutôt déconcertante. Elle sentit donc ce que William allait dire mais, pour une fois, elle se tut, se retenant même de sourire quand il prit la parole
-"Herbert, je suppose que Père n'a fait aucune allusion aux bijoux?
- Mais si! Vous savez qu'ils représentaient une partie non négligeable de ses biens. Ils lui appartenaient et il a estimé juste de les léguer en totalité à Mére."
Quelle gifle pour Herbert et Mabel! pensa Edith. Ils s'attendaient sans doute à ce que Père les laisse en héritage à son fils aîné. Mais le calme affiché par Mabel lui fit toutefois comprendre qu'elle se trompait. Herbert avait sans doute déjà prévenu sa femme.(...)
- Mais il y a plus important que la question des bijoux ou des revenu", coupa Herbert. "Où Mère va-t-elle vivre? Elle ne peut rester seule. En tout cas, pas ici. La maison sera vendue. Où va-t-elle aller? Il est de notre devoir de nous occuper d'elle. Mère doit vivre parmi nous. "On aurait dit qu'il avait préparé son discours (...)
Enfin nous y voilà! pensa Edith: que vont dire les gens? Ils ne se préoccupent que de l'opinion d'autrui et de l'argent qu'ils vont soutirer à notre pauvre Mère... Chicanes... Chicanes... Elle avait déjà connu ce genre de dispute familiale. Ils vont se déchirer autour de mère comme des chiens le font autour d'un très vieil os. (...) Chaque fois que lady Slane pénétrait dans le salon, les conversations cessaient, tout le monde se levait et l'on s'empressait de l'aider à s'asseoir. Chacun la tratait un peu comme si elle venait d'échapper à un accident, ou avait provisoirement perdu la tête. Edith était certaine que sa mère ne souhaitait pas être guidée ainsi vers un fauteuil (...)
"Mère chèrie. Nous avons discuté entre nous... Vous pensez bien que nous nous sommes préoccupés de votre sort. Nous savons combien vous étiez dévouée envers Père, et réalisons ce que cette perte représente dans votre vie(...) nous nous sommes inquiétés de savoir où, et comment, vous alliez vivre?
- Je suppose que vous avez déjà décidè pour moi, Herbert", commenta lady Slane d'un ton d'une indicible douceur.
Gêné, Herbert passa à nouveau un doigt dans son col. Edith avait l'impression qu'il allait s'étrangler.(...) Lady Slane ne disait toujours rien. Son regard allait de l'un à l'autre, étrangement ironique pour une personne si effacée. (...) - Non, répondit lady Slane en souriant. Je sais à quel point vous pouvez vous montrer prévenants mais je n'entends pas vivre avec aucun de vous. Pas avec vous, Herbert, ni avec vous, Carrie, ni avec vous, William, ni avec vous Charles. Je vais vivre seule. (...) En fait, je me suis trop lontemps préoccupée de l'opinion des autres, j'ai droit à des vacances. Si on ne se fait plaisir à mon àge, quand le fera-t-on?(...) Voyez-vous, Carrie, j'entends devenir complètement égoiste, comment dire, m'immerger dans mon grand àge. Pas de petits-enfants! Ils sont trop jeunes. Aucun n'a la quarantaine. Pas d'arrière-petits-enfants non plus! Ce sarait pire. Je ne veux pas de cette jeunesse qui non seulement s'agite mais cherche toujours, en plus, à savoir pourquoi. Je ne souhaite pas qu'on m'amène d'enfants. Ces malheureux me feraient trop penser à la longue route qu'ils ont à parcourir avant d'arriver au port.
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Vita Sackville-West In "Toute passion abolie", SalvY Éditeur, Paris,
1991, pp 23 - 51 (Tradução do inglês por Micha Venaille).
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